Oui. Sans aucun doute, oui.
Mais j’ai peur.
Et très sincèrement, je ne pensais pas avoir tant peur.
Là, en fermant les yeux, je me visualise sur une balance : côté droit, obèse, comme je suis aujourd’hui… côté gauche, mince, enfin, sportive plutôt que mince.
A droite, je suis triste, craintive et j’ai mal. J’ai juste envie de me prendre dans mes bras et de me rassurer, de me dire que tout va bien se passer et que je ne vais pas me laisser là, choir au bord de la route. Que ça va être difficile, long et tortueux, mais que je peux me faire du bien, me donner un peu d’amour et… de sérénité. A droite, je me vois exténuée, en bout de course. Je sens que j’ai besoin de souffler, de tout. Mon histoire m’a chargée, je me suis laissée charger comme une mule, parce que… (je réfléchis)… parce qu’au moins, ça, je sais faire. Je suis assise, mes bouées autour de moi, les bras entourant ma graisse, presque inaccessible, comme sur une photo de moi que j’ai dénichée et qui date de novembre dernier.
Prendre sur moi, être là pour ceux qui en ont besoin, m’oublier, parce que c’est plus facile que de faire face à ses démons, à ses peurs, à ses propres problèmes. Je me suis jetée à corps perdu dans des missions qui n’étaient pas les miennes, juste pour que ça fasse moins mal. Ou que ça fasse mal ailleurs. J’ai l’impression d’avoir gâché mes plus belles années, en portant des oeillères et en m’obstinant dans une voie où je ne prenais que des risques considérés. Ce foutu syndrome de l’imposteur par-dessus, et voilà une A. qui ne se donne les moyens de rien, finalement.
Oh, bien sûr, elle a mené sa barque de main de maître, prouvant à tout le monde qu’elle faisait exactement ce qu’elle avait envie de faire. Sauf que pas du tout. Et que sans fausse modestie, avec les capacités qu’elle avait, elle aurait pu faire bien mieux. Je ne parle pas de réussite professionnelle, ou pas que. Je parle de mettre à profit une histoire qui démarre pas facile et de la rendre plus jolie, plutôt que de s’empêtrer dedans.
Vous me direz, tout le monde fait pareil. Oui, tout le monde fait pareil, enfin, le plus souvent. Seulement aujourd’hui, quand je me retourne, j’ai mal. J’en peux plus de crever de jalousie à l’idée que ces années sont parties pour moi, qu’elles ne reviendront plus, et qu’aujourd’hui, c’est trop tard. Trop tard pour choisir ma vraie voie, trop tard pour faire mes choix de manière apaisée et personnelle, plutôt qu’en fonction des autres et de ce que je mets dans ma balance à moitié cassée.
Je ne suis pas venue au monde dans des circonstances idéales (j’en parlerai plus tard). Mais j’aurais pu, j’aurais du faire mieux. En me posant les bonnes questions à l’époque, je ne me serais jamais fait autant de mal. J’aurais pu apprendre à m’écouter, à m’aimer et à avoir de la compassion pour moi. Mais non, j’ai juste laissé ma colère, mes peurs et ma fierté guider mes choix. Aujourd’hui, la machine est sans carburant. Je n’ai plus de substance pour me plaindre, pour faire que ça aille mieux un jour, parce qu’aujourd’hui, dans ma vie, tout pourrait aller à merveille. Si seulement je le voulais.
A droite, je me vois épuisée mais sans volonté. Je démissionne. Mais c’est tellement bon de se laisser couler. Ca ne demande pas d’effort et puis après, ça roule tout seul (bouh le vilain jeu de mot).
– merci à Ciccio d’avoir mis des mots sur mes idées, ça m’a aidée à développer –
A gauche, je retrouve ma position favorite de Wonder Woman. On m’a toujours surnommée comme ça, depuis l’adolescence, car je suis, enfin, j’étais souvent debout, les jambes écartées, les poings sur les hanches, à demander « on fait quoi maintenant ? », débordante d’énergie et d’envie(s). Mais mon regard me fait froid dans le dos. Il y a comme une terreur au fond. Comme si me retrouver dans cette position était encore une fois me demander d’enrôler la peau d’une autre. C’est très confus, je l’admets, mais c’est ma sensation.
Je ne me vois pas mince. Je suis grande (je mesure 1,70 m), je m’apparais plutôt comme musclée (ou c’est le costume qui fait ça – joke). J’ai l’air décidé mais voilà, il y a toujours cette petite lueur qui me gêne. En creusant un peu, je crois qu’à gauche, j’ai peur de l’avenir. Un peu comme si, en étant obèse, advienne que pourra, de toutes manières, on crève tous donc d’une maladie cardio-vasculaire ou d’autre chose, qu’importe ? Alors qu’en étant plus mince, après avoir fait tant d’efforts (oui, les efforts se lisent sur mon visage)…
La jeune femme à gauche est vive, ça se voit, mais toujours triste, malgré tout. Et puis, on voit bien qu’elle est quand même un peu gênée… elle n’a pas tout réglé et finalement, tout ça l’emballe moyen quand même. En plus, elle se retrouve là, sans rien avoir demandé, et paf ! tous les regards se braquent sur elle. Aaaah, le regard de l’autre. Le regard des autres. Il faudra bien qu’elle parle, cette jeune femme devenue mince, parce qu’on va la presser de questions. Les gens ont besoin de savoir. Par jalousie, par envie, par solidarité, par sollicitude, peu importe. Les gens ont besoin de savoir.
Mais elle, elle n’a pas envie de parler aux gens. Elle n’en a plus l’envie. Elle veut être tranquille, dans son coin, sans personne pour l’emmerder, parce que crotte, quoi, elle a encore tellement de choses à faire, à comprendre, avant qu’il ne soit trop tard ! Elle veut juste profiter de sa vie et des siens, sans se prendre la tête et surtout, sans avoir à gérer des curiosités mal venues.
Elle fait du sport parce que ça lui fait du bien (et plus du tout mal). Elle aime cuisiner, alors elle régale toute sa petite famille, ses amis, en s’améliorant un peu plus chaque jour. Elle aimerait réaliser son projet professionnel, mais elle a encore un peu peur. D’ailleurs, elle est perdue, elle ne sait pas trop comment s’y prendre, maintenant qu’elle a fait le plus gros travail sur elle-même.
Sur son épaule, son idéal continue ses sautillements, de manière plus discrète qu’il n’a pu le faire jusqu’alors. Son idéal de minceur, carriériste et mère de famille modèle. Son idéal qui est beau, tout propre, tantôt en tailleur, tantôt en bikini, qui lui fait envie autant qu’il la désespère, ne voulant absolument pas tomber dans ce stéréotype. Alors pourquoi en avoir fait un idéal ? Mystère…
Bilan… Evidemment, je serais une grande gagnante du côté gauche. Ca demande beaucoup de travail sur moi, mais je pense que je serais gagnante. Le côté droit de la balance ne me plait pas… la femme que j’y vois me fatigue. Je sais que je vais devoir apprendre à l’aimer pour la quitter et c’est un énorme challenge pour moi. Car je n’aime pas l’obésité, et c’est bien là tout ce que je vois. A méditer.
La grande révélation, c’est qu’une fois du côté gauche, je n’aurais plus aucun obstacle, plus aucune urgence pour régler mes derniers problèmes. Ceux qui sont là, tout au fond, qui me font me demander presque tous les soirs si je ne tourne pas psy, qui me font me questionner sur certains de mes actes passés, leur cherchant furieusement une raison d’être. Plus d’excuse, plus d’obstacle, rien que la vérité nue. Et ça, ça me terrorise… alors, est-ce que ça vaut vraiment le coup ?
Choisir entre une vie léthargique, anesthésiée par un comportement compulsif dans bien des domaines, qui se déroule comme un long fleuve tranquille… et une vie plus légère en kilos, mais plus… je ne trouve pas le mot exact, mais je sais qu’il existe. Ca donne une impression de nerf à vif, de sensation aigüe… de douleur sourde, aussi. Plus consciente ?
J’ai décidé de tenter l’aventure, mais vais-je résister ? Est-ce ce que je désire vraiment ?
Je crois que c’est la seule réponse aux 4 questions qui n’ait pas pris une ride. Je dirais même que l’introspection d’alors sur ce point-là a été bien plus nourrie que l’actuelle.
La seule chose qui n’est plus vraie, c’est ce regard sur moi, qui ne m’insupporte plus aujourd’hui, au contraire. Je me le disais en me regardant dans le miroir ce matin, j’aime me voir, j’aime me voir vivante, souriante, debout.
Je n’ai plus peur de ce que représente l’obésité à mes yeux. Je sais ce qu’elle exprime dans mon cas. Je sais aujourd’hui qu’elle n’est qu’un symptôme, pour reprendre les mots d’une wetwet… le chemin va être long, mais j’y suis engagée !